Dans l’obscurité du musée du Quai Branly, au cœur de Paris, c’est un coup de foudre musical que tes tympans ressentent. Devant toi, un homme et une femme, la peau peinte en noir envoûtent la foule de leur prestation qui va au-delà d’une simple performance. Entre encens, danse et musique, c’est un rituel, un chant profond qui te prend les entrailles. Hyptonisé comme les autres, tu laisses ton corps se mouvoir avec plaisir sur la musique ensorcelante des deux membres d'une communauté regroupant des artistes aux talents multiples.
Arabstazy est un collectif composé d’artistes d’origine nord-africaine, centré sur la musique électronique et les arts numériques. Il est issu du label Shouka créé en 2009 par Amine Metani et Nessim Zghidi autour d’origines communes comme le Stambeli tunisien, le Zār iranien ou le Candomblé brésilien. Ce soir, tu découvrais Mettani滅 gourou du collectif:
- D’où vient le nom Arabstazy ?
- Arabstazy pour Arabe et Ecstazy, au sens d’extase. Nous sommes intéressés par la matérialisation du lien entre les formes d’extases mystiques traditionnelles, (comme celles des confréries soufies ou stambeli) avec la transe moderne, celles des musiques électroniques, mais aussi du jazz, du funk, des musiques contemporaines en somme.
Il y a évidemment un raccourci inexact avec l’utilisation du terme “Arabe” qui n’est qu’une partie de notre identité parmi d’autres composantes toutes aussi essentielles. C’est une forme de cynisme, qui se moque du fait que le Maghreb, dans toute sa complexité culturelle et historique, est assimilé du point de vue de l’Europe aux Arabes qui ne sont que des colons parmi tant d’autres. En réalité, on s’identifie plus à l’Afrique du Nord, qu’à une pseudo-identité arabo-musulmane fantasmée et qui ne reflète pas vraiment notre vécu.
- Pourquoi ce choix de vous peindre en noir sur scène ?
- Les références sont multiples, mais ce n’est en aucun cas une revendication de notre Africanité, qui reviendrait au même que de revendiquer une prétendue Arabité. La question de l’identité est bien plus complexe. Avant tout, cette idée de se peindre en noir est venue de l’idée de neutralité, de disparition. Le noir est pris comme non-couleur. C’est l’exploration du paradoxe de se mettre simultanément dans l’ombre et dans la lumière, puisque malgré tout nous sommes sur scène. Une sorte de contre-jour. A titre plus personnel, c’est un clin d’œil au milieu du métal et du punk d’où je viens, et plus précisément au corpse-paint ainsi qu’aux peintures fluorescentes du groupe Punish Yourself.
Enfin, j’y vois aussi une référence au panthéon des esprits du Stambeli. Le Stambeli est un rituel de guérison tunisien d’origine vaudou. C’est un syncrétisme forcé, hérité du passé esclavagiste nord-africain, et qui intègre à ses croyances aussi bien des saints de l’Islam, dits “blancs”, que des esprits appelés “les autres personnes”, et dits “noirs”. Ces derniers peuvent choisir certains humains comme hôtes, et des cérémonies sont organisées pour faire “descendre” ces esprits et leur donner l’opportunité d’expérimenter la nature humaine à travers une forme de possession. Ce syncrétisme est un paradoxe en lui-même puisque des croyances animistes et superstitieuses sont intégrées à un culte qui les condamne de fait. Ces croyances sont pourtant fondamentales dans la construction de notre culture populaire. Tout cela cela illustre la complexité quasiment schizophrénique de l’identité nord-africaine.
- Quel est votre rapport à la musique ?
- La musique est pour moi à la fois le symptôme et le remède. C’est mon Ouroboros, simultanément pulsion de mort et perpétuelle renaissance. C’est une bulle qui m’isole, mais aussi un medium qui me permet de communiquer avec les humains. Faire de la musique est une évidence, une nécessité incoercible, comme quelque chose qui s’écoule et contre laquelle je ne peux rien, à part la canaliser dans une certaine mesure. Je donne juste une forme sensible à quelque chose d’indicible et qui me dépasse.
Que trouve-t-on dans votre playlist ?
- Dans ma playlist... Björk, Beck, Tom Waits, Mike Patton, Neurosis, Meshuggah, Bartók, Drumcorps, Varèse, Quagma, Autechre…
- Votre meilleur souvenir, le plus marquant depuis que vous avez commencé la musique?
- Mon solo de flûte à bec à la fête de l’école en CM2.
- Comment envisagez-vous Arabstazy dans dix ans ?
- Je n’imagine pas Arabstazy dans dix ans. Les projets ont un début et une fin, Arabstazy est né parce que c’était dans l’air, qu’il fallait que ça se passe à ce moment là. C’est un fruit qu’on a simplement cueilli au pied d’un arbre qu’on nourrit depuis un bon moment. Ce fruit va mûrir, s’affiner, vieillir, puis mourir. Je ne veux plus en être quand il se décomposera, je serai en train de cueillir d’autres fruits, sur le même arbre, ou sur un autre. Ce qui va rester au-délà d’Arabstazy dans sa forme structurée, ce sont les artistes et leur travail, qui eux continueront au travers d’autres projets.
- Que souhaitez-vous faire ressentir aux gens lorsque vous jouez?
- Dans le cadre de ce projet précis, je cherche à leur faire atteindre un état de conscience altérée, proche de la possession rituelle que l’on peut observer dans les cultes descendant du vaudou, comme le Stambeli tunisien ou le Zār iranien. On associe souvent la scène électronique à l’usage de stupéfiants, à juste titre, et c’est pour moi le symptôme d’une musique déconnectée de son auditoire, qui a perdu son âme. Je travaille laborieursement à recréer ce lien, celui qui unit le maître de cérémonie et ses adeptes, et qui conduit naturellement à se laisser porter entre deux mondes.
- Un rêve à réaliser avec Arabstazy?
- C’est une envie plus qu’un rêve, car je pense que l’on va y arriver sans trop tarder, mais cela serait de jouer avec des troupes traditionnelles locales, notamment de percussions tunisiennes. On attend juste l’opportunité d’une résidence pour mettre sur pied quelque chose de travaillé avec une proposition artistique solide et cohérente, et surtout pas quelque chose de folklorique et monté à la va-vite.
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